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ABIDJAN – PARIS
Carte blanche à la galerie Véronique Rieffel
Avec johanna mirabel, gopal dagnogo et manuel braun

 

du 2 octobre au 10 novembre 2021

E-1027 – l’intitulé de la série de photographies d’Isabelle Boccon-Gibod, présentée en ce moment rue de Savoie à la Galerie Le salon H, pourra déconcerter ceux qui ne connaissent pas la maison éponyme que la designer et architecte irlandaise Eileen Gray bâtit, avec son ami et amant, Jean Badovici, entre 1926 et 1929. Une perle unique d’architecture moderne, qui vient d’être restaurée, grâce au mécénat d’un riche industriel anglais, après une longue campagne de travaux. Donnons sans tarder la solution de l’énigme : E comme Eileen, 10 pour le J de Jean (dixième lettre de l’alphabet), 2 pour le B de Badovici (deuxième lettre), et 7 pour le G de Gray, (septième lettre). Le chiffre de la maison, avec ses lettres embrassées, affichent tout en la masquant, la passion des amants. Villa d’amour donc. Les images qu’Isabelle Boccon-Gibod a prises de cette œuvre, ont la beauté étrange d’un film constructiviste qui aurait pris ici une couleur, et une seule – un vert éclatant, surprenant, presque pop (toutefois un poil trop intense, quasi sévère, pour l’être vraiment), qui introduit dans l’univers bleu de la méditerranée, une fraicheur d’Irlande.

 

 

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C’est que le mécène a sollicité la photographe pour qu’elle vienne photographier, de nuit, durant les trois jours de la saint Patrick 2021 au moment où il entendait éclairer de vert les volumes. L’artiste est d’abord rétive à cette idée. L’artifice, et particulièrement la couleur, ne l’inspire pas. Elle accepte toutefois, à la condition de passer du temps – quelques semaines – dans la maison pour l’approcher et l’avoir dans l’œil. « Je travaille lentement », explique-t-elle.

Comment organiser la rencontre entre ces deux femmes, aux caractères bien trempés ? Comment concilier une vision qui relève de l’optique, faite pour bâtir droit, et une autre, visuelle, pour faire l’image juste ? Comment faire, se demande Isabelle Boccon-Gibod, pour entrer dans cette maison, et faire œuvre avec une œuvre ? A un siècle de distance, dans leurs années vingt respectives, la photographe et l’architecte se sont ainsi donnés rendez-vous. Sans doute y-a-t-il un peu de compétition. C’est que l’œil de l’architecte et celui du photographe partagent, en concurrents, un même langage, composite d’espace, de lumière, de matières et de lignes…

Mais il y a aussi et surtout une démarche presque médiumnique : il faut à l’artiste tenter d’entrer en contact avec l’esprit d’une disparue, qui habite toujours la maison (même si elle l’a quittée du jour au lendemain en 1931 à la suite de la rupture avec son amant). La photographie a toujours traqué, parfois sans le vouloir, les fantômes. Isabelle Boccon-Gibod, qui a un passé de scientifique et d’industrielle (dirigeant des usines de carton ondulé dans le monde entier tout en se consacrant à la photographie) met en place un dispositif technique élaboré. L’artiste a identifié un papier photographique « magique », un positif direct qui offre des qualités de contrastes sans pareil. Pas de négatif donc, et une image unique en noir et blanc, un peu comme un polaroïd. Elle avait du reste réalisé un travail de polaroids quelques années auparavant en Californie – exposé déjà en 2019 à la galerie Le salon H. Après une longue période de repérages novembre 2020, en plein confinement, l’artiste commence à travailler en décembre, avec cette technique « à un coup ». Aussi lui faut-il longuement penser le cadre, la lumière, le point de vue. Ce qui explique sans doute, dans cet exercice cérébral, le caractère presque chirurgical de ces premières vues. Pas de hasard dans ces images, mais un objet rigoureusement posé, pensé, au point de devenir une « pensée » more geometrico de ce que signifie « habiter ». Des vues fragmentées du mobilier (fondu dans l’immeuble) d’Eileen Gray, dont la photographe ouvre un battant pour construire un plan. Des vues partielles de fenêtres, avec des découpes.

« J’ai joué avec la maison. J’ai ouvert, j’ai dérangé, j’ai déplacé les éléments mobiles, j’ai cherché des ouvertures vers le dehors. Je me souviens qu’adolescente, j’ai commencé à faire des images en fabriquant des collages. J’ai compris bien plus tard que ces compositions de morceaux étaient une manière pour moi de résoudre une énigme que je portais en moi-même, qu’il serait trop long de raconter ici. Quoi qu’il en soit, la création s’est toujours confondue pour moi avec un travail d’élucidation, comme si, pour chaque nouvel opus, je portais en moi une énigme que l’image créée allait contribuer à lever. »

Le hasard a voulu que l’artiste ait redoublé ce tropisme vers l’énigme à travers cet objet déjà « chiffré » (E-1027). Est-ce pour cette raison que ces vues sans sujets, ou ces clichés pris au moment de la saint-Patrick, avec ces aplats verts tranchants, ont un air d’arcane d’une toile de Chirico ? La maison, bien que moderne, appuyée sur une certaine idée du rationalisme fonctionnel, est plongée ainsi dans une atmosphère fantastique. Après tout, c’est peut-être le propre du moderne que de faire naître, par contraste, le fantastique ? A la même époque (1927), Man Ray tournait un film, pas très loin, à Hyères dans la ville que Mallet-Stevens avait bâtie pour le couple des Noailles. « Le château de dés » (c’était le titre de cette fantaisie) versait à grand jets du mystère dans les volumes orthogonaux de la villa-manifeste de la vie transparente, saine et chronométrée (avec ses horloges dans toutes les pièces) des modernes… !

Pour Isabelle Boccon-Gibod, la villa E-1027, « c’est une boîte à musique. Et ce papier « positif » avec ces contrastes, cette multiplicité de nuances de gris, ou les clichés « verts », restituent une petite musique . « Il y a beaucoup de choses qui tournent dans cette maison géométrique – des meubles à rotations, des ouvertures, des structures métalliques… Ce mouvement secret qui habite la maison a évidemment un caractère musical ». C’est peut-être la signature, là encore chiffrée, de sa conceptrice, qui loin d’obéir à l’ordre moderne, l’interprète, le transgresse, insinue de la courbe dans l’angle droit, du melos dans un logos par trop impératif…

Alors pour entendre le concert des cuivres et autres de cette villa symphomane, il faut vite aller voir ces images vertes…

 

Thierry Grillet

œuvres exposées

gopal dagnogo - Dining room n1, 2021 - acrylique sur toile - 150 x 150 com

johanna mirabel - living room n°9, 2021 - Huile sur toile - 180 x 250 cm

manuel braun - Mêlée, 2021 - photographie, jet d'encre sur Baryta Hahnemühle 315g - 20 x 25 cm et 60 x 70 cm

a

Tue ‒ Thu: 09am ‒ 07pm
Fri ‒ Mon: 09am ‒ 05pm

Adults: $25
Children & Students free

673 12 Constitution Lane Massillon
781-562-9355, 781-727-6090